François LE BAILL : note biographique, par sa fille Marie.

 

 François LE BAILL

(1890-1943)

 

 

par sa fille
Marie LE BAILL

 

Note retranscrite sans modifications, à l'exception d'éléments de ponctuation et de notes entre crochets destinées à fournir des précisions.
Les sous-titres ont été ajoutés et ne sont pas de l'auteure.

JMR

 

Une enfance brestoise.

 

François Marie LE BAILL naît à St-Pierre-Quilbignon le 18 juillet 1890. Cette commune a été rattachée au "Grand Brest" sous l'occupation [en réalité en 1945] ; elle fait aujourd'hui partie de Brest.

 

La jeunesse de François se passe dans ce bourg où résident ses cousins. Proches d'eux par l'âge, ils se connaissent bien et, plus tard, sa fille les considèrera comme ses oncles et tantes.

 

Il habite au "Petit Paris", 18 rue de Brest. Il gardait un souvenir ému de cette maison. Sa chambre, bien à lui, était un petit cabinet situé au-dessus de l'entrée. Il parlait des roses thé et des poiriers du jardin.

 

Il allait à l'école des Frères (de Ploërmel). Ces frères des écoles chrétiennes étaient surnommés les "frères quatre bras" à cause de la forme de leur manteau.

Ploërmel éditait des livres scolaires, en particulier de Mathématiques, fort valables et dont parlait Jean-Baptiste RENAULT [beau-père de Marie LE BAILL, instituteur laïque que l'on ne peut pas soupçonner de bienveillance particulière à l'égard de l'Eglise et de l'enseignement privé].

 

Ces frères n'avaient pas le droit de fumer en public : ils le faisaient le soir en se promenant dans un petit chemin situé derrière l'église et allant vers la Maison Blanche et, de ce fait, ce chemin était surnommé le Chemin des Frères.

C'est sur les bords de ce chemin qu'enfant, j'allais cueillir des mûres pour les gelées et surtout le sirop que Maman faisait.

 

François court avec ses camarades dans les chemins de la campagne avoisinante, aujourd'hui entièrement bâtie.

L'hiver, ils mettaient dans les chemins enneigés des choux raves percés de trous (yeux, nez et bouche) pour effrayer les passants et les éclairant d'une bougie placée à l'intérieur !

Ils allaient aussi à la "pique aux pommes" dans les jardins du coin et une bonne femme qu'ils visitaient assez souvent avait une pie apprivoisée qui les invectivait au cri de "C'hanta laer" [breton : "Ac'hanta, al laer ! ", Alerte au voleur !].

 

La maman de François le considérait comme fragile et le "couvait", comme on dit. Parti un jour en excursion à la mer (sans doute à Ste-Anne-du-Portzic ou à la Maison Blanche) avec l'école, on ne lui avait pas donné de maillot de bain et il avait suivi les autres tout habillé !!! Revenu avec un appétit dévorant, il s'était retrouvé au lit avec couvertures et tisanes chaudes, la diète étant de rigueur pour les malades, ou présumés tels !!!

 

Pour rentrer au lycée (en 3ème, je pense), il lui faut se mettre à l'anglais. Il a des cours à l'école des Frères et on l'interroge pendant l'étude du soir. Toute la classe glousse quand il récite le verbe avoir : "She has".

 

Au lycée, il apprend aussi l'allemand qui l'intéresse, et il a un correspondant allemand, Walter (Kein ?). Les questions de celui-ci semblent trop "indiscrètes" (psychose française de l'espionnage) et ils cessent de s'écrire. Il avait aussi un correspondant turc (?), Constantin Zountouridès [nom qui semble plutôt grec], qu'il aurait aimé rencontrer.

 

Une altercation verbale et politique avec un de ses professeurs, considéré comme très à gauche, l'amène à quitter le lycée dès la Seconde. Quand je rentre en Math élém, celui-ci est toujours enseignant, parle à son ancien élève et est très accueillant pour moi, bien que je ne sois pas dans sa classe.

 

François prépare le concours de Surnuméraire des PTT avec le Courrier des Examens. Le jour des épreuves avec plusieurs camarades, outre les langues qu'ils connaissent, ils en présentent d'autres, espagnol, italien, dans l'espoir d'avoir des points supplémentaires ! Il débute à Vannes, puis revient à Brest.

 

Il habite toujours chez ses parents, à St-Pierre. Suivant ses horaires au central télégraphique, il rentre la nuit à pied (ou à bicyclette ?). Or, passé l'octroi de Recouvrance, le lieudit Les Fours à Chaux est mal famé. Il y a des agressions de passants solitaires.

Bien que François, connu des responsables, garçons de son âge, passe toujours sans ennuis, sa mère craint ses retours tardifs et ils vendent la maison de St-Pierre au prix de 8 000 Fr.

Ce sera placé en actions d'Etat, les Louis d'or étant échangés pour du papier-monnaie pour la défense de la France.

 

Ils vont alors habiter en location au 2, place Sadi Carnot (dit aussi 2, rue Ducouëdic), au 2ème étage.

 

François n'est pas pris au service militaire, pour faiblesse de constitution. Il a fait une pleurésie. Il n'est pas non plus mobilisé en 1914-1918. Ne pas être soldat entraîne un certain mépris et ralentira peut-être aussi sa carrière.

 

Il se marie en 1917 avec Marie MORLAIS. Ils s'installent en meublé au 2, place Sadi Carnot, au-dessus des propriétaires MM. POULIQUEN, bois et charbon.

Vers 1923, ils louent au 4ème et achètent leur mobilier [dont la salle à manger sculptée en chêne foncé bien connue de certains...].

 

 

Peintre des paysages brestois.

 

Il se passionne, comme beaucoup de ses collègues, pour la peinture... et manque d'avoir des ennuis pour avoir installé son chevalet près d'un terrain militaire.

Parmi ses collègues artistes, citons Roger (petit tableau du Huelgoat à la maison), Jimmy Sévellec qui devient connu...

 

Il expose parfois :

 

- à la Galerie Saluden, septembre-octobre 1923,
- au Faubourg St-Honoré à Paris, avril-septembre 1922, 2 aquarelles sur 4 reçues par le jury,
- au Musée de Brest, exposition des Amis des Arts du 10 juin au 10 juillet 1922 : aquarelles Le Dellec, Trégana, Porsmilin en vente à 60 Fr, deux scènes enfantines, croquis qui ne sont pas à vendre,
- Galerie Saluden, octobre-novembre 1922, 3 aquarelles, 75 Fr,
- Galerie Saluden, juin-juillet 1923, 7 aquarelles,
- Musée de Brest, jui-juillet, 2 aquarelles.

 

Il s'était inscrit au cous ABC de dessin par correspondance.

 

 

Au service des télécommunications.

 

Les Alliés ont, en 1914-1918, des ressortissants au central télégraphique et il s'établit des relations amicales avec certains, en particulier un Portugais avec lequel François et sa femme correspondront un certain temps.

 

Son avancement professionnel est contrecarré par les manœuvres de certains. Du télégraphe, il est passé au téléphone, d'abord au Petit Couvent rue Jean Macé.

C'est le temps du "manuel". Il manque y être électrocuté.

 

Il se spécialise dans les Essais et Mesures, suit un cours, rue Barrault [à Paris 13ème, siège de l'Ecole nationale supérieure des télécommunications, dont Jean RENAULT, époux de Marie LE BAILL,  sera élève puis enseignant] en 1929 avec stage à Châlon-sur-Marne [auj. Châlons-en-Champagne] et, en 1932 je crois, s'occupe du transfert et de la mise en automatique là où se trouve toujours le central.

Que de rues défoncées à ce moment ! D'autant que des travaux sont aussi faits par les services municipaux et l'électricité (ce n'est pas encore EDF).

 

Il s'occupe aussi du nouveau central de Morlaix. Il a en réalité, en s'inspirant du pont de Wheatstone, un appareil fort simple qui lui permet de localiser avec une grande précision les dérangements sur les circuits et on fait appel à lui en dehors de son secteur.

 

Il s'est beaucoup occupé des liaisons par câble avec Ouessant et a même fait une aquarelle, qui doit se trouver à Trémeur dans une cantine à l'annexe, de la baraque qui était "l'atterrissage" des câbles avec les îles à Corsen, près de Porsmoguer en Ploumoguer.

 

C'est ainsi qu'il est allé en déplacement à Ouessant et qu'il a repris contact avec Mme HULAUD, que sa femme et lui avaient connue à la Poste de Brest auparavant.

Mme HULAUD était allée ensuite à Ouessant et y avait épousé un marin du centre de goniométrie. Elle était restée veuve très jeune avec sa fille Gaby. Celle-ci, toute petite, contracta le terrible "croup" (diphtérie).

Sans sérum sur l'île, elle appela ses anciens camarades brestois et François LE BAILL put se procurer le précieux sérum et le porter au port de commerce auprès du Moal Enez qui s'apprêtait à appareiller avec le ravitaillement de l'île. Il est probable qu'il apporta sur l'île plusieurs doses, qui permirent de sauver plusieurs malades.

 

François est très bricoleur et a réalisé une liaison téléphonique sommaire entre chez ses parents [au 2ème étage de l'immeuble] et le 4ème.

Il monte un poste à galène, puis à lampes. Il fait pour le loger un petit meuble qui est devenu plus tard l'armoire à pharmacie de Trémeur, ainsi qu'un petit banc bien connu de ses petits-enfants eyt arrière-petits-enfants.

 

Il n'y a pas d'électricité, puisque le propriétaire ne veut pas la mettre. Dans la grande cuisine où l'on se tient généralement, on s'éclaire au gaz. Ailleurs, c'est au pétrole et pour mes devoirs avec une Tito-Landi [lampe à alcool très répandue à l'époque].

 

Il s'occupe des installations de la Marine vers Lanninon. Il y a alors déjà une odeur de conflit qui se prépare.

 

Il est célèbre dans la famille pour être taquin, et cela ne plaît pas à tous.

 

 

Paris et la guerre.

 

Ses parents et son oncle n'étant plus vivants, il se fait muter à Paris en 1937, avec l'appui de Marzin [Pierre Marzin, ingénieur des Télécom, futur directeur général des Télécom et chef du projet de développement de ce secteur à Lannion], quand je commence mes études de Pharmacie.

 

Au service des recherches, rue Bertrand, il s'occupe du labo photo et cinéma. Une lampe survoltée explosera près de son oreille.

 

Il a loué un appartement 115, rue ND des Champs en 1937. En 1939, ils le quittent pour le 117 et ils vivent la "drôle de guerre".

 

Il a passé son permis de conduire et a acheté une Juvaquatre en 1938. L'été 38, on explore les forêts de la région parisienne. En août 39, on part à Port-Lesney dans le Jura où Mme HULAUD [amie de la famille, originaire d'Ouessant] a accepté le poste de receveuse pour être titularisée.

 

Il y fait une poussée de tension soignée par un médecin radiesthésiste de Salins-les Bains. Il avait déjà eu une alerte à Paris. Il est vraisemblable qu'il en avait déjà à Brest mais le médecin de famille avait déclaré qu'une personne maigre n'avait jamais trop de tension !

 

Ces vacances sont fort agréables, mais le retour se fait en catastrophe avec les menaces de mobilisation.

 

Les premières semaines de la guerre, François va au travail avec le masque à gaz en bandoulière. Il lui a fallu retirer un livret militaire bien qu'il ne soit pas mobilisable.

 

Le 10 mai 1940, il se replie avec son service à Vendôme. Il y trouve une chambre par réquisition chez une dame âgée.

Sa famille est également réfugiée à Vendôme. Les enfants de la vieille dame veulent mettre tout le monde dehors. Les réfugiés sont très mal vus. Mais voici les bombardements par les avions italiens. Des autos sont en panne, faute d'essence ;  une bombe au but, et tout flambe.

 

Nous sommes évacués par car sur Tours, au milieu de la panique générale. Alertes en cours de route, puis départ en wagons à bestiaux vers Bordeaux le 17 juin.

Arrivée tardive le lendemain. On apprend que les Allemands, que l'on croyait loin, sont déjà dans la presqu'île de Crozon. Hébergement collectif poussiéreux dans les entrepôts Damoy puis dans une chambre avec puces et cuisine près du Pont de pierre.

 

Alertes, les abris dans les caves sont inondés par la Garonne. Gros dégâts. Armistice.

 

Retour à Paris par train de voyageurs : tout le monde est certifié agent des PTT, le plus jeune est prétendu "petit télégraphiste" !

On passe sans difficulté la ligne de démarcation. Les fleuves se traversent sur des ponts provisoires. On se retrouve à Paris en juillet [1940].

 

La vie y est compliquée. Maman, prise de douleurs violentes au cours d'une promenade en banlieue, doit attendre longtemps le médecin. La péritonite n'est décelée que le lendemain.

Elle meurt quelques jours après à la clinique de la rue Oudinot et mon père ne se pardonnera jamais d'avoir autorisé l'opération, pourtant seule solution possible (il n'y a alors ni sulfamides, ni antibiotiques).

Il la ramène à St-Pierre et y retournera une ou deux fois en 41 et 42.

 

Septembre 43, alerte. Lui qui n'allait jamais aux abris y descend pourtant.

Il y entend le faux-bruit qu'un avion abattu sur la Faculté de Pharmacie a totalement détruit celle-ci. Il remonte, essaie de téléphoner à sa fille pour la vie de qui il craint et est terrassé par une attaque qui l'emporte en 3 jours malgré les soins du Dr BONNARDEL et de Mme LEGRAND [M et Mme LEGRAND, voisins et amis de la famille] qui s'en sont occupé dès qu'il a été ramené.

 

Les ingénieurs avec qui il travaillait l'estimaient beaucoup, en particulier Jean RENAULT [futur époux de Marie LE BAILL], qu'il lui était advenu de rencontrer à Kêr Vreiz [foyer culturel breton de Paris, alors situé 42 rue St-Placide] et Joseph ROUAULT [collègue et ami de Jean RENAULT] qui l'avait bien connu à Brest.

 

 

Des passions multiples.

 

François LE BAILL s'était un temps passionné pour la radiesthésie et il semble qu'il y avait des dons. Il cherchait les dérangements sur une carte, et Joseph ROUAULT pourrait en parler.

 

Il était passionné aussi par la photographie.

Très jeune, il avait eu un des premiers modèles, une boîte toute simple. Plus tard, il avait des modèles plus sérieux mais achetait aussi de vieux modèles à la première braderie.

Au début, ce sont des plaques qu'il développe lui-même dans la grande alcôve de la cuisine aménagée en cabinet noir, avec un dispositif de lumière rouge adaptable sur lampe Pigeon.

 

François LE BAILL était également passionné d'art lyrique. Jeune homme, il se rendait (avec un abonnement ?) à la saison d'art lyrique du théâtre de Brest situé place du Champ de Bataille, plus tard place du Président Wilson. Ce théâtre brula entre 1919 et 1921, et ne fur pas reconstruit. Les réunions se firent dans les baraquements, place de la Liberté. Plus tard, ce sera l'Ouest-Eclair (futur Ouest-France) qui construira un immeuble place du Pdt Wilson.

Quand il se rend au théâtre, c'est alors la mode des grands chapeaux et la jeunesse chante :

Ah Madame, ôtez votre chapeau !
Ah Madame, ôtez votre chapeau !
Ou je vais de ce pas
Me plaindre au bureau...
D'tabac... Manu... facture de l'Etat !

 

De même, les jeunes qui reviennent des plages de la route du Conquet, de Ste-Anne-du-Portzic, du Minou, du Dellec, de Trégana (de tous les âges, d'ailleurs) chantent quand ils voient le clocher de St-Pierre :

 

On aperçoit les cloches de St-Pierre-Quilbignon
La bouteille est bon !
On aperçoit les cloches de St-Pierre-Quilbignon
La bouteille est bon garçon !

Outre les peintres, il y a parmi ses collègues Auguste BERGOT [poète et romancier, ultérieurement adjoint au maire de Brest] des Jeux Floraux de Bretagne.

Pour avoir sans doute plus de temps libre, celui-ci fait partie des brigades de réserve qui travaillent en période touristique à Deauville ou à Monaco, stations richement fréquentées. Il n'y a pas de congés payés à l'époque, seul le dimanche est chômé et on a une ou deux semaines de congé par an pour les fonctionnaires.

 

Auguste BERGOT publie L'espionne maquillée, livre avec répétition de "Haricot à tous les étages" à la grande joie de ses collègues.

A l'occasion du mariage de Jimmy SEVELLEC [Jim SEVELLEC (1897-1971), peintre né à Brest], il écrit un livre ou une nouvelle avec comme refrain "Jimmy ! Jimmy ! de Camaret, Solange ! ou l'ange ! de Douarnenez !".

 

 

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Publication : juin 2021.

Mise à jour : septembre 2022

(c) Jean-Marie Renault, 2008-2023

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