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Y comme... Yves et les prénoms bretons de mes ascendants

Saint Yves entre le riche et le pauvre, église du Minihy-Tréguier

[(c) Commune de Minihy-Tréguier]

 

Yves est réputé être un prénom breton, en mémoire de Yves Hélory de Kermartin, né vers 1253 au Minihy-Tréguier dans le duché de Bretagne, canonisé sous le nom de Saint Yves en 1347.

 

Ce prénom n'est bien sûr pas né avec lui, et il ne fait aucun doute qu'il était déjà porté depuis longtemps dans le diocèse de Tréguier. Cette origine, doublée du fait qu'il ne fut porté qu'en Bretagne durant plusieurs siècles, en fait donc un prénom breton.

 

Son culte est particulièrement ancré dans le diocèse de Tréguier, et le cantique à Saint Yves nous rappelle son importance :

 

"Nann, n'eus ket ur sant evel Sant Erwan" 

[Non, il n'y a pas un saint comparable à Saint Yves].

 

Sont, de même, considérés comme bretons les prénoms dérivés de Yves ainsi que ses variantes locales : If, Iffig (diminutif), Erwan, Youenn, mais aussi les formes francisées comme Yvon, Yvonne ou Yvette.

 

La base de données généalogique des familles Renault et Le Baill (ascendants et fratries) des origines jusqu'en 1944 n'en compte pas moins de 128, soit 3,9 % de l'ensemble :  97 Yves (5,9 % des hommes), 21 Yvonne, 8 Yvon et 1 Yvette.

 

Une telle proportion en fait le prénom breton le plus porté parmi mes ascendants.

 

Mais qu'entend-on par "prénom breton" ?

 

  • De la difficulté à qualifier un prénom de "breton"

Dans le cas de Yves et de ses variantes, la qualification peut être facile, mais il n'en est pas toujours de même avec d'autres prénoms très portés.

 

Si la fréquence d'un prénom en Bretagne suffisait à elle seule, Jean, Joseph, Anne ou Marie devraient être considérés comme des prénoms bretons. Or ces prénoms ne sont ni bretons, ni français, ni flamands, mais d'origine purement biblique : ils ont été portés à l'origine par les populations d'Europe au fur et à mesure de la christianisation du continent.

 

Il en va de même de Mathurin, prénom très porté parmi les ancêtres : on dénombre 56 Mathurin (3,4 % des hommes) et 30 Mathurine (1,8 % des femmes) soit 2,6 % de la base de données familiale. Cet effectif élevé et l'importance du culte de Saint Mathurin dans la région de Lamballe et de Moncontour n'en font pas pour autant un "saint breton" : Mathurin serait né près de Fontainebleau au IVème siècle.

 

Si la fréquence ne peut servir à qualifier un prénom de breton (ou de français, d'anglais, d'allemand...), il reste à considérer, comme pour Yves, le caractère breton du saint patron.

 

Ce caractère "breton" peut être défini par le lieu de naissance, de vie ou de mort du saint considéré. C'est ainsi que Yves a été défini, et la règle s'étend également à Corentin, Armel, Goulven et beaucoup d'autres : les saints patrons correspondants sont pour la plupart originaires de Bretagne ou ont accompagné les populations venues de l'île de Bretagne (Grande-Bretagne actuelle) lors du peuplement de l'Armorique, devenue elle-même Bretagne, du IVème au IXème siècle.

 

  • Les prénoms bretons de mes ancêtres et leur fréquence

Définis ainsi, les prénoms bretons sont principalement localisés en Basse-Bretagne, la partie bretonnante de l'ancienne province.

 

Afin de ne pas interférer avec l'époque contemporaine et de conserver à l'article son caractère historique, l'inventaire des prénoms ne traite pas des naissances postérieures à 1944.

 

Cet inventaire porte sur les prénoms des ascendants ainsi que de leurs frères et sœurs.

Prénoms Nombre
Armel (m) 4
Bria (f) 1
Corentin (m) 1
Even (m) 1
Gonéry (m) 1
Goulven (m) 4
Hamon (m) 2
Hervé (m) 16
Maudetz (m) 1
Morvan (m) 1
Plézou (m) 1
Prigent (m) 3
Sané (m) 5
Tangui (m) 8
Yves (m) 97
Yvette (f) 1
Yvon (m) 8
Yvonne (f) 21

 

  • Quelques commentaires

- une quasi absence de prénoms féminins

 

En dehors de Bria, porté par Bria ESNAUD (ma Sosa n°293, 9ème génération) décédée à Maure en 1692, considérée par beaucoup comme un prénom d'origine celtique, les prénoms féminins se limitent à des formes francisées de Yves.

 

- une localisation fortement ancrée dans le Léon.

 

Les ancêtres du Goëlo et du Trégor portent rarement un prénom breton, mais plutôt des prénoms bretonnisés tels que Guion, forme bretonne de Gui.

 

C'est dans le bas-Léon que se situe la quasi-totalité des prénoms bretons portés par les aïeux : Hervé, Tangui, Armel, Sané, etc.

Ce dernier prénom, saint patron de la paroisse de Plouzané (la paroisse de Sané), très porté aux XVIIIème et XIXème siècles, s'éteint rapidement au début du XXème siècle.

 

- un cas de renoncement à un prénom breton à la confirmation

 

Une situation singulière apparaît avec Armel LE TROQUER (mon Sosa n°188, 8ème génération).

 

Armel naît dans la ferme de ses parents située à Pléguien, dans le Goëlo (évêché de Saint-Brieuc) le 19 octobre 1723 comme l'atteste son acte de baptême :

Acte de baptême d'Armel Le Troquer le 20 octobre 1723

Archives Départementales des Côtes d'Armor [cliquer pour agrandir]

"Armel Le Troquer, fils légitime de Nicolas Le Troquer et de Louise Raoul son espouse, né du jour d'hier, a été baptizé en l'église paroissiale de Pléguien le vingt octobre mil sept cent vingt-trois. Présent ledit Nicolas Le Troquer, laboureur. Parrain a été Armel Fetty et marraine Anne Raoul, qui ont signé".

Mais cet acte est étrangement surligné lors de la confirmation qui se déroule à Plouha, lorsque l'enfant a atteint l'âge de 7 ans. Le recteur mentionne alors sur l'acte de baptême qu'Armel a désormais pris le prénom de Nicolas.

 

On ignore les raisons qui ont conduit l'enfant a désirer changer de prénom. Armel était le prénom de son parrain, Armel Fetty, et Nicolas celui de son père.

Y a-t-il eu conflit entre les deux adultes, conduisant Armel à prendre le parti de son père ? Y a-t-il eu pression du recteur auprès de l'enfant pour le conduire à changer de nom ? Le mystère reste entier.

 

  • Le renouveau contemporain des prénoms bretons

 

A partir des années 1930, et plus encore après 1950, les prénoms bretons sont de nouveau portés. La législation française, après les avoir interdits en dehors des prénoms déjà connus (Hervé, Armel...), s'assouplit et autorise par exemple les enfants Le Goarnic à exister enfin, plusieurs années après leurs naissances.

 

Le renouveau de la culture bretonne à partir des années 70 et 80 renforce encore le choix des prénoms bretons, tels que Arzela, Brewal, Gorun, Guirec, Gwen, Koupaïa, Maela, Mona, Morgane, Morwena, Ninnog, Nolwen, Rozenn, Solen, Tudual et tant d'autres.

 

 

 

 

Jean-Marie Renault

 

 

 

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Commentaires: 2
  • #1

    Nadège Cresson (vendredi, 29 novembre 2024 11:52)

    J'ai plusieurs Yves et même Yvette (ma maman). Beaucoup de Mathurin, Mathurine, Yvonne aussi (au XVIIIème siècle) Yvon... Ils sont du Morbihan, de la Loire-Atlantique, de l'Ille et Vilaine. Mon neveu Gaël.
    Me suis toujours posée cette question du prénom breton.
    Merci pour votre article.

  • #2

    Yvon CAULET (vendredi, 29 novembre 2024 16:43)

    Intéressant de noter l’usage de l’association d’un prénom féminin et d’un prénom masculin, par exemple:
    - ma grand-mère paternelle Marie Joseph CAULET
    - mon grand-père maternel Louis Marie Joseph COLLET

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