Avec l'article d'aujourd'hui, nous faisons un grand bond dans le passé en évoquant la vie de mes ascendants durant la 8ème Guerre de Religion, celle qui dévasta la Bretagne entre 1590 et 1597.
La montée du protestantisme dans cette province reste un phénomène assez limité. Loin de s'ancrer dans la population restée très attachée au culte catholique, la Réforme est cependant adoptée par une centaine de familles nobles parmi lesquelles se trouvent les Coligny (Guérande), les Laval (Vitré), les Rohan (Josselin) et, dans le Mené, la famille de la Moussaye (Sévignac) et quelques autres.
La Bretagne, réunie au royaume de France depuis 1532, dispose d'une assemblée, les États de Bretagne, et d'un parlement situé à Rennes. A côté se trouve le gouverneur de la province, qui représente le roi et qui préside les séances des États.
C'est le duc de Mercœur, beau-frère du roi de France Henri III, qui est gouverneur de Bretagne au moment où se développe le protestantisme auprès d'une partie de la noblesse bretonne. S'agissant de la Réforme :
"L'héritier présomptif de la couronne de Bretagne, Mercœur, duc de Lorraine qui est aussi gouverneur de Bretagne, catholique convaincu pour ne pas dire fanatique, n'en veut à aucun prix" [Jean-Jacques Monnier, La Bretagne face au pouvoir royal de 1532 à 1688, éd. Skol Vreizh 2014].
Philippe Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur,
gouverneur de Bretagne (Source : BnF Gallica).
L'opposition de Mercœur à la Réforme atteint un niveau très élevé et se dirige contre le roi de France Henri III, jugé trop faible et incapable de tenir tête aux Huguenots. En clair, c'est sa tolérance que le Gouverneur de Bretagne reproche au roi.
La guerre est déclarée entre les deux camps, et la Bretagne subira durant de longues années les faits d'armes meurtriers entre l'armée de la Ligue catholique, plus simplement dénommée la Ligue, menée par Mercœur, et celle du roi conduite principalement par Henri de Montpensier, prince de Dombes.
La fragilité du pouvoir favorise l'émergence de nombreuses bandes armées, avides de larcins et de violences, qui terrorisent les campagnes bretonnes. La plus célèbre et la plus terrible est celle de Fontenelle, qui pille, viole et tue les populations de Haute-Cornouaille :
"Il [Fontenelle] y apporta une telle ruine qu'il est impossible de l'exprimer, n'y demeurant ni hommes ni bêtes, ni maisons où il n'eût facile accès, le restant du peuple étant obligé de se cacher parmi les landes, genêts, broussailles, où par la rigueur et la nécessité du temps ils mourraient et demeuraient en proie aux loups" [Chanoine Moreau, Mémoire sur les guerres de la Ligue en Bretagne].
Moncontour est dès le XVIème siècle une place forte dont le rôle est important dans l’histoire de la Bretagne. Elle sert d'avant-poste de défense à la ville fortifiée de Lamballe, siège de la châtellenie de Penthièvre.
Moncontour, vue des restes des remparts (porte St-Jean),
début du XXème siècle.
Certains de mes ascendants habitent alors cette ville fortifiée. Guillaume GOUIQUET, "sieur des Courtillons", mon "Sosa 9 116" en remontant pas moins de 14 générations, y est né en 1545 (date exacte hélas illisible sur l'acte de baptême) en la paroisse de Notre-Dame et Saint-Mathurin.
Son fils Jean, "sieur du Bois", s'y marie le 5 mais 1582 avec Guillemette ROUILLE. Leur fille Yvonne GOUIQUET, ma "Sosa 2 279" à 12 générations de moi, y naît le 19 avril 1587.
La descendance d'Yvonne restera vivre à Moncontour jusqu'en 1732. Deux siècles de résidence dans la ville : la famille GOUIQUET est alors bien implantée à Moncontour.
En 1590, la ville de mes aïeux subit un événement qui aurait pu leur être fatal, alors qu'Yvonne n'a que trois ans et que ses parents Jean et Guillemette en ont à peine une trentaine.
La place de Moncontour est fermement tenue par le duc de Mercœur. Le roi envoie le prince de Dombes, Henri de Montpensier, assiéger la ville au mois de juillet. Les canons tonnent contre les murs de la ville, qui résistent. Les tentatives d'assaut n'y font rien, Moncontour s’avère être une ville imprenable pour l'armée royale.
Afin d'obtenir la reddition de ses habitants, le prince de Dombes organise alors le siège de Moncontour et décide d'affamer sa population.
Relevant de la paroisse Saint-Mathurin, qui correspond notamment à l'emplacement de la place forte, il est probable qu'Yvonne GOUIQUET et sa famille ont alors été enfermées dans la ville et y ont souffert de la famine.
La tactique tourna rapidement à l'avantage de l'armée du roi : le prince de Dombes finit par entrer dans la ville pour y installer une garnison royale.
Il reste difficile aujourd'hui de mesurer les effets sur la population d'une famine qui paraît heureusement n'avoir pas trop duré. On donnerait cher pour savoir comment Yvonne, cette petite fille de 3 ans, a vécu le siège de sa ville.
En 1597, moins d'un an avant la signature de l’Édit de Nantes (avril 1598) qui contribuera à faire cesser la guerre civile, celle-ci fait encore rage en Haute-Bretagne.
Les troupes de Mercœur poursuivent sans relâche les populations restées fidèles au roi Henri IV, malgré l'abjuration de ce dernier en 1593 et sa reconversion au catholicisme qui aurait du réduire la haine que vouait la Ligue à son encontre.
Mes aïeux Charles GUIHARD et Julienne COLLEAUX (mes Sosa 7376 et 7377, 13 générations avant moi) vivent à La Mézière (diocèse de Rennes) à la fin du XVIème siècle, comme en témoigne la naissance d'un premier enfant, prénommé Jean, le 12 septembre 1597. Un autre fils, également prénommé Jean (Sosa 3 688), naît à La Mézière en 1611.
Le 3 juin 1597, Saint-Laurent et Tréméreuc, capitaines du duc de Mercœur, arrivent à la paroisse de La Mézière à la tête de 2 000 hommes de troupe.
"Ils se rendirent maître du bourg, dont ils brûlèrent les maisons et massacrèrent la population après avoir violé les femmes et les filles" [M. Ogée, Dictionnaire historique et géographique de la province de Bretagne, tome II, Nantes 1779].
Mes aïeux ont, à l'évidence, été témoins sinon victimes de ces actes barbares, mais y ont survécu. Le rédacteur de ces lignes peut en témoigner !
On notera que Julienne met au monde un enfant, le frère aîné de mon aïeul, trois mois seulement après cette folie meurtrière. Comment imaginer la survie d'une femme déjà enceinte dans des conditions aussi épouvantables ?
Les exemples que j'ai choisis, qui ne sont pas limitatifs, font entrer l'histoire de ma famille dans la "grande Histoire".
Les faits appris sur les bancs de l'école ou du collège nous éclairent sur l'Histoire de notre pays mais nous semblent souvent bien éloignés, et, pour certains d'entre nous, bien ennuyeux.
Pourtant, quelle actualité dans l'étude des Guerres de Religion !
Une actualité "verticale", d'abord, qui me vient tout droit de mes ancêtres, car ils en ont cruellement souffert avec leurs contemporains, même si je la découvre depuis peu.
Mais aussi, et peut-être surtout, une actualité "horizontale" : que de souffrances, encore aujourd'hui dans le Monde, provoquées par des guerres religieuses que nous avons connues nous-même il y a 4 siècles dans nos propres campagnes, souvent au nom d'un même Dieu.
Puissions-nous nous rappeler chaque jour que la Paix est le bien le plus précieux mais aussi le plus précaire, et que notre propre Histoire familiale témoigne hélas souvent du réveil toujours possible de la barbarie.
Jean-Marie Renault
Écrire commentaire
Frédérique (samedi, 09 novembre 2024 18:15)
Marek Halter a écrit :" les hommes ont souvent assez de religion pour se haïr, mais hélas, rarement assez pour s'aimer "....