Journée internationale des droits des femmes (2024)

En cette journée du 8 mars 2024, je vous propose l'évocation de quatre femmes qui, chacune à sa façon, ont fait le choix de résister aux vents dominants, ceux qui consignaient (et qui consignent encore souvent aujourd'hui) la femme dans une fonction exclusive d'auxiliaire de l'homme et de tenue matérielle du foyer.

 

Beaucoup d'aspects de leur vie sont des exemples pour nous tous, hommes et femmes.

 

 

Jeanne Marie BROUTE (1837-1903).

 

Née à Plénée-Jugon (Côtes d'Armor), Jeanne Marie Brouté est élevée dans sa ferme natale puis placée comme domestique chez des particuliers.

 

Elle se marie à 18 ans à François Renault (1822-1869), cultivateur à la ferme du Grand Clos en La Malhoure, où elle s'installe. C'est là que la famille Renault (ou Renaud, selon les époques) s'est installée depuis plus d'un siècle et demi.

 

Le couple aura six enfants. Alors que leur dernier enfant a tout juste 8 mois, François meurt prématurément et Jeanne se retrouve seule à 31 ans avec six enfants à charge.

 

Elle ne se remarie pas et tente de poursuivre courageusement la conduite de la ferme, notamment avec l'aide de son fils aîné Jean Marie et de son beau-frère Mathurin. Ce dernier quitte rapidement les terres du Grand Clos pour s'installer dans la commune voisine de Plestan.

 

Seule et sans doute épuisée par la lourdeur des travaux agricoles et des tâches ménagères rendues nécessaires par la présence de nombreux enfants, Jeanne Marie doit abandonner la ferme dont elle ne parvenait sans doute plus à honorer les loyers.

 

Vers 1872, elle quitte définitivement le Grand Clos et s'installe avec quatre de ses enfants dans la forêt de la Hunaudaye en Plédéliac.

 

Commence alors une vie nomade, misérable et épuisante de travailleuse des bois, faite de coupe forestière et de confection de charbon. Ses enfants François et Victorine resteront auprès d'elle dans la conduite de sa pénible activité.

 

Les habitants des bois sont très mal considérés par ceux des villes et des campagnes, et constituent une population vulnérable.

 

C'est ainsi que Victorine est mise enceinte dans des conditions sans doute brutales et met au monde un fils Joseph en 1903, né de père inconnu, quelques semaines seulement avant le décès de sa mère. Nul droit particulier ne protège alors une femme victime de violences.

 

François et Victorine décèderont à leur tour à Plédéliac en 1920 et 1922, derniers témoins de la vie matériellement misérable de leur mère, une femme courageuse qui se sera battue seule toute sa vie dans la dignité pour assurer un avenir moins cruel à ses enfants, au sein d'une société rurale souvent indifférente au sort des femmes.

 

Les charbonniers, lithographie de Mathurin Méheust (1920),

Musée des Beaux-Arts de Brest.

 

 

Marie Augustine JEAN (1877-1962).

 

C'est dans le village de Liscorno en Lannebert (Côtes d'Armor) que naît Marie Augustine, fille de Louis Jean et de Reine Vitel. Elevée en breton au sein de sa famille et de ses voisins, elle a 5 ans quand l'école devient obligatoire et gratuite.

 

Bonne élève, elle apprend le français à l'école tout en conservant l'usage fréquent de sa langue maternelle et poursuit ses études qui la conduisent à l'école normale d'institutrices de St-Brieuc.

 

Après un premier poste à Plouër, elle est affectée à l'école de filles de Trémeur et fait la connaissance de Jean Baptiste Renault, instituteur de l'école de garçons. Le couple se marie et s'installe définitivement dans cette commune.

 

Il n'est pas toujours simple d'être une "hussarde noire" de la République dans une campagne divisée entre le parti clérical et le parti républicain.

Bien que publique depuis sa construction, l'école communale des filles accueillait des enseignantes cléricales, faute de ressources laïques suffisantes dans un département où l'école normale ne peut fournir les effectifs enseignants nécessaires aux besoins de toutes les écoles. 

 

Quand elle prend ses fonctions en 1904 et entre pour la première fois dans sa salle des classe après y avoir fait entrer ses jeunes élèves, celles-ci s'agenouillent et entament la prière qu'elles avaient coutume de réciter jusque là. Cette prière sera la dernière.

 

Femme de caractère, Marie Augustine conduit son enseignement avec compétence et autorité. La guerre déclarée en août 1914 mobilisant la grande majorité des hommes, l'école de Trémeur doit faire appel à des instituteurs retraités. Cela ne suffit pourtant pas, et les effectifs des classes primaires augmentent considérablement faute de moyens humains en nombre suffisant.

 

C'est ainsi que la classe de Marie Augustine atteint certains jours plus de 80 élèves durant la guerre. Loin d'en être impressionnée, notre institutrice se fait fort de tenir sa classe et de conduire le plus grand nombre d'élèves possible vers le certificat d'études. Elle est remarquée par sa hiérarchie et reçoit des distinctions à plusieurs reprises.

 

Marie Augustine se montre exigeante, mais encourage toutes ses élèves.

 

Elle décède à l'âge de 85 ans, avec la reconnaissance de toute la commune pour l'immense travail d'éducation accomplie auprès de centaines d'élèves qui, devenues femmes adultes, honoreront sa mémoire avec constance et ferveur.

 

En 2021, son ancienne élève Virginie Guitton alors centenaire se souvient encore de son institutrice. "J'ai passé mon certificat d'études à 12 ans comme tout le monde, et je l'ai eu" témoigne-t-elle dans le bulletin communal. "Madame Renault avait dit à mon père : Ta fille pourra continuer les études, elle a une sacrée mémoire".

 

Comme pour beaucoup d'autres jeunes filles de la commune, ces encouragements ne suffiront pas. Les études coûtent cher et les fermes ont besoin de main d'œuvre.

 

Marie Augustine JEAN, épouse Renault,

et ses deux enfants Marie et Jean en 1915.

 

 

Marie LE BAILL (1918-2009).

 

Marie naît au sein d'un foyer bienveillant à Brest, ville qui connaîtra la destruction 25 ans plus tard.

 

Elevée avec affection, elle est encouragée à poursuivre ses études dans une société très masculine où les bachelières sont rares.

Pour préparer son baccalauréat Math Elem, l'équivalent de l'actuel bac S qu'elle passe en 1936, il lui faut s'inscrire au lycée public de garçons : les filles sont trop rares à s'orienter vers les sciences et nul ne songe alors à l'utilité d'ouvrir une telle section dans les établissements scolaires de jeunes filles.

Pire, beaucoup pensent que les études détournent les jeunes femmes de leur vocation première qui serait la tenue du foyer...

 

Quelques décennies plus tôt, Camille Sée, pourtant promoteur de la loi de décembre 1880 instituant l’enseignement secondaire féminin, avait lui-même assuré, parlant des jeunes filles : « Les écoles qu’il s’agit de fonder ont pour but, non de les arracher à leur vocation naturelle, mais de les rendre davantage capables de remplir les devoirs d’épouse, de mère et de maîtresse de maison ».

 

Déjà encouragée par ses parents dans le domaine des arts où elle s'initie à l'aquarelle, au dessin et au violon, Marie affiche sa volonté de poursuivre ses études supérieures et s'inscrit à la faculté de pharmacie de Rennes puis de Paris.

 

Dans la capitale où elle s'installe avec ses parents en 1937, elle passe le permis de conduire l'année suivante, à une époque où les conductrices d'automobiles sont particulièrement rares.

Elle conduit sans difficulté la voiture familiale et ses parents l'encouragent à prendre le volant lors d'un voyage dans le Jura durant l'été 1938 alors que de lourdes menaces s'accumulent dans le ciel de l'Europe.

 

Après la débâcle française qui la conduit un temps à Bordeaux, puis les privations dues à l'Occupation, le sort de Marie s'alourdit encore davantage avec le décès de ses parents en 1940 puis 1943.

 

En 1944, orpheline et seule dans la capitale, coupée de ses cousins brestois qui ont fui la ville bombardée, elle poursuit ses études, débute une spécialisation en recherche microbiologique et rencontre Jean Renault, ingénieur polytechnicien qu'elle épousera.

 

Il faut considérer le niveau d'émancipation de Marie Le Baill, au plan social et culturel, pour mieux en mesurer le caractère exceptionnel à cette époque.

Inspirée par la réussite de femmes pionnières telle que Marie Curie ou Hélène Boucher, encouragée par des parents aimants, Marie a tracé jusqu'en 1944 un sillon exemplaire pour toutes les jeunes femmes de sa famille.

 

Le poids de la société mettra cependant un terme à ses projets, montrant ainsi que les droits des femmes ne sont peut-être jamais définitivement gagnés.

 

Marie LE BAILL vers 1940.

 

 

Delphine MORLAIS (1889-1945).

 

Delphine naît à Guingamp (Côtes d'Armor) dans une famille de boulangers de "pères en fils" installée dans cette ville depuis une cinquantaine d'années.

 

Après des études courtes, elle devient couturière et se marie à 21 ans avec Auguste Le Gall, forgeron qui tient son commerce non loin de son domicile de la rue de la Madeleine.

 

Elle mettra au monde en 1913 puis en 1917 deux enfants qui ne vivront pas. Mobilisé en 1914, son mari reviendra du front gravement blessé et décèdera peu après à l'hôpital de Pabu.

 

En 1917, Delphine qui n'a que 28 ans se retrouve veuve et sans enfants. Sa force de caractère est remarquable, et la conduit à se lancer dans une entreprise de commerce forain.

 

Elle fait les marchés de Guingamp et des communes voisines, son commerce la conduisant à rencontrer de nombreux clientes et clients qui occupent le quotidien de cette femme au passé encore court mais déjà dramatique.

 

Parmi ses amies figurent notamment Léontine Le Gall, fermière de Plouisy qui vient livrer quotidiennement le lait de sa ferme à la ville. Si Delphine et Léontine deviennent vite des amies inséparables, elles ne savent pas encore qu'elles resteront liées jusque dans la mort.

 

Evoluant dans une environnement social proche de la métallurgie et des transports, Delphine s'oriente peu à peu vers le parti communiste dont elle a vu la création en 1921. Il est difficile de connaître le niveau de son engagement jusqu'en 1939, année qui voit l'interdiction de ce parti par l'autorité de collaboration.

 

Durant les premières années de l'Occupation, elle héberge en secret plusieurs cadres nationaux et départementaux du parti communiste clandestin. Elle sait qu'elle risque gros, mais croit sans doute à sa bonne étoile.

 

C'était hélas sans compter la trahison de l'un des siens, ancien responsable du PC des Côtes-du-Nord, qui sera à l'origine de la rafle de plusieurs dizaines de résistants guingampais en août 1943.

 

Delphine est arrêtée à son domicile au matin du 6 août sur dénonciation, puis conduite au commissariat de St-Brieuc où est rassemblée la quarantaine de résistants communistes arrêtés. Léontine et Delphine se trouvent réunies dans cette rafle.

Après un jugement sommaire placé sous l'autorité allemande, les deux amies sont envoyées sous escorte avec les autres victimes de la rafle au fort de Romainville.

Un convoi en train les conduira le 18 avril 1944 au camp de Ravensbrück.

 

L'horreur des camps les attend. Delphine et Léontine, les deux "résistantes en coiffe" comme elles ont été parfois décrites, travaillent ensemble à la confection de pièces pour l'entreprise Siemens puis, leur santé et leur forces déclinant, sont mises à la confection de vêtements en tricot pour les besoins de la Wehrmacht.

 

Alors que Guingamp est libérée depuis plus de six mois et que l'armée rouge avance rapidement vers le camp, Léontine et Delphine, simples matricules 35233 et 35234 au sein du camp, sont assassinées le 19 février 1945 par le pouvoir nazi aux abois.

Leurs cendres sont dispersées dans les eaux silencieuses du Schwedtsee, lourdes de la mémoire des crimes commis derrière le mur voisin.

 

Rendons hommage à ces femmes de la Résistance, œuvrant dans l'ombre en prenant tous les risques pour combattre l'horreur humaine dans ce qu'elle a de plus indicible, au prix de leur propre vie.

 

Delphine, inconnue de beaucoup jusqu'à un passé récent, dont personne ne possède la moindre photo ou le moindre objet personnel, est un scintillement éternel de vie qui honore la famille entière, si nous savons en garder pour toujours le souvenir.

 

 

Stèle à la femme déportée, Ravensbrück.

 

 

 

 

 

Jean-Marie Renault    

 

8 mars 2024     

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Commentaires: 6
  • #1

    Dominique Lenglet (vendredi, 08 mars 2024 16:12)

    Que d'émotion à la lecteur de ce quadruple témoignage.
    C'est magnifique, poignant.
    Pour toutes les femmes
    MERCI

  • #2

    Christiane Bruneau (vendredi, 08 mars 2024 17:05)

    Comme Dominique , l'émotion est forte !
    Merci

  • #3

    Françoise Degenne (vendredi, 08 mars 2024 17:51)

    Très émouvant. Ces femmes n'ont pas été gâtées par la vie, mais quelle force, quel courage ! Merci !

  • #4

    Hervé Renault (vendredi, 08 mars 2024 19:47)

    Magnifique "reportage" ...On a heureusement bien avancé, mais il reste encore du chemin à parcourir...Merci de marquer ce 8 Mars!

  • #5

    Joelle (vendredi, 08 mars 2024 22:13)

    Très émouvant, belle idée que ces biographies aujourd'hui

  • #6

    Evelyne (samedi, 09 mars 2024 15:14)

    Merci pour ces magnifiques portraits

(c) Jean-Marie Renault, 2008-2023

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