Comment j'ai retrouvé à Brest la boulangerie de mon aïeul

 

Ma grand-mère Marie MORLAIS était née à Brest, rue de l'Harteloire, en 1890. Le 1er janvier, car il faut bien qu'un enfant se décide à commencer le registre des naissances de la ville.

 

Je savais que son père (mon arrière-grand-père), Charles MORLAIS, avait été agent technique à la Marine, plus précisément cuisinier à l'hôpital maritime de Brest. Mais pendant longtemps, peu de choses sur la génération précédente, celle de Joseph MORLAIS, mon arrière-arrière-grand-père (mon "Sosa 28", comme disent les généalogistes) au sujet de qui j'ai déjà écrit plusieurs articles (voir ici).

 

J'avais découvert que Joseph, né à la ferme du Cas-Rouge à St-Gilles (Ille-et-Vilaine) en 1828, s'était marié en 1854 à Lambézellec (Finistère) avec Joséphine SIOU, une jeune brestoise née au Moulin à Poudre. Et qu'il était boulanger le jour de son mariage.

 

Boulanger, mais où précisément ? Les premiers enfants étant nés à Brest dans les années 1855 à 1860 au 6 de la rue Guyot, ruelle qui sera plus tard particulièrement mal famée, je me mis à chercher longuement l'existence d'une boulangerie dans le "vieux Brest", celui d'avant la destruction de 1944.

 

C'est l'indexation des ressources documentaires de Généanet qui me permit de franchir une première étape, en m'apprenant que mon aïeul Joseph avait fait faillite en 1873 : le journal L'électeur du Finistère faisait état dans son édition du 27 novembre de cette année-là de la mise en vente forcée de la boulangerie, sur décisions successives du tribunal de commerce, puis du tribunal civil.

 

 

Outre les difficultés financières dans lesquelles se débattait mon arrière-arrière-grand-père, je découvrais aussi que la boulangerie ne se situait pas à Brest mais à Lambézellec dans le "Terroir de Keruscun", rue Porstrein Nevez.

 

J'eus beau chercher cette rue dans le quartier de la place Keruscun, aucune rue Portstrein Nevez n'apparaissait. Cette rue de Lambé (commune progressivement annexée à celle de Brest) n'existant visiblement plus, je dus me résoudre à me rendre sur place pour y trouver un peu d'inspiration, dans l'espoir d'un petit miracle... Ce fût ma deuxième étape.

 

Mon idée fut effectivement bien inspirée. En ce jour chaud et ensoleillé de septembre 2023, la place Keruscun inondée de lumière servait de terrain de pétanque à quelques jeunes du quartier. La torpeur générale de la place lui donnant une tonalité paisible, j'abordai sans difficulté quelques jeunes qui étaient à la fois disponibles et bienveillants.

 

"Une boulangerie dans le quartier ? Mais oui bien sûr, à l'angle de la place ! Elle est fermée depuis longtemps, mais je me souviens qu'on allait y chercher du pain quand j'étais enfant".

 

Mon regard se tourna en direction de cet ancien commerce : en effet, une solide bâtisse se dressait au coin de la place Keruscun, ancien commerce correspondant à la description qu'en avait faite L'électeur du Finistère exactement 150 ans auparavant !

 

Je retrouvai ainsi les deux boutiques donnant sur la rue, les étages et mansardes, la petite cour, le petit bâtiment en fond de cour... Rien, ou presque ne semblait avoir changé depuis 1873.

 

Il restait encore une incertitude, celle de l'adresse exacte. Si la description de 1873 plaçait bien le côté de la boulangerie place Keruscun et son arrière rue Keruscun, elle situait la façade sur la fameuse rue Porstreïn Nevez aujourd'hui disparue, alors que l'entrée de la bâtisse actuelle se situe rue Jules Guesde.

 

L'hypothèse était simple, mais à vérifier : la rue Porstreïn Nevez avait du être renommée Jules Guesde après la mort de celui-ci en 1922.

 

Ce fût ma troisième et dernière étape, celle de la vérification, rendue possible grâce au précieux apport des réseaux sociaux.

 

Le groupe Facebook "Brest d'hier et d'aujourd'hui" est riche et généreux. Il m'a suffi de demander qui pourrait me dire si l'actuelle rue Jules Guesde s'appelait bien rue Porsteïn Nevez autrefois pour qu'un de ses principaux animateurs que je veux ici remercier, Patrick Floch, me confirme aussitôt qu'il s'agissait bien de la même rue, carte de 1901 à l'appui :

 

Extrait du plan de Brest (1901) modifié par l'ajout de couleurs.

La rue Porstreïn Nevez apparaît bien à la place de l'actuelle rue Jules Guesde.

La place Keruscun se situe ici dans Brest et non dans Lambézellec à la suite de l'extension de la commune de Brest vers l'est.

Elle est signalée en vert, la boulangerie de Joseph MORLAIS figure en rouge.

 

Pour couronner l'ensemble, des contributeurs du groupe m'adressaient des copies de cartes postales anciennes, datant des années 1910, figurant la rue Portstreïn Nevez. Sur l'une d'entre elles, on distingue nettement à gauche le début du mot boulangerie. Celle dans laquelle mon arrière-arrière-grand-père a pétri et cuit le pain pendant plus de 20 ans !

 

La rue Porstreïn Nevez vers 1910.

Photo prise devant la boulangerie dont on devine le début de la devanture.

 

 

Epilogue...

 

Au plaisir évident d'avoir retrouvé la boulangerie de mon aïeul Joseph s'ajoute celui d'avoir reçu l'aide de plusieurs contributeurs : ceux qui ont indexé le journal L'électeur du Finistère pour rendre ses articles accessibles à tous grâce à des mots-clés, la plateforme Geneanet qui met à disposition les liens nécessaires, les jeunes brestois qui m'ont montré le lieu probable en bordure de la place un jour ensoleillé de septembre, et enfin les membres de Facebook qui m'ont fourni les dernières données me permettant de confirmer l'emplacement exact de la boulangerie.

 

La recherche généalogique, on le voit, c'est tout sauf uniquement un travail solitaire. C'est d'abord de beaux échanges de données entre personnes bienveillantes et passionnées !

 

De cette recherche découlent désormais de nouvelles questions : comment Joseph, petit garçon de ferme de la région de Rennes, a-t-il pu se donner les moyens d'acquérir un jour une si vaste bâtisse avec ses équipements ? Pourquoi à Brest ? Et pourquoi la faillite après 20 ou 25 ans d'activité ?

 

Sur les deux dernières questions, j'ai quelques idées de réponse. Affaire à suivre ! Sur la première, la tâche sera plus rude...

 

 

Cet article vous fait réagir ? N'hésitez pas à laisser un commentaire !

Écrire commentaire

Commentaires: 4
  • #1

    Léonie De Kastelline (jeudi, 30 novembre 2023 06:14)

    Bonjour , j'ai hâte de savoir la suite , merci pour avoir partagé votre histoire.

  • #2

    Joelle (jeudi, 30 novembre 2023 09:42)

    Le roman policier continue...

  • #3

    Herve (jeudi, 30 novembre 2023 14:59)

    Franchement intéressant!...Pour avoir vécu à Brest tant d'années, ça me fait tout drôle! Grand merci!

  • #4

    Rozenn (mercredi, 13 décembre 2023 15:18)

    Quel travail de fourmi … la passion qui t’anime transparaît dans ton récit !

(c) Jean-Marie Renault, 2008-2023

Reproduction interdite sans l'autorisation de l'auteur.