Famille Morlais : un long épisode brestois

A Brest, une vie citadine

 

 

De St-Gilles à Brest.

 

Joseph MORLAIS, par son déménagement de la campagne de St-Gilles à la ville de Brest, devait changer radicalement l'environnement social de la famille établi depuis plus de 150 ans.

 

Si l'on comprend sa recherche d'un nouveau métier dans une campagne rennaise où il n'avait pas accès à la conduite d'une ferme, rien n'explique en revanche très clairement sa décision de quitter le bassin rennais au profit de la ville portuaire de Brest.

 

La route impériale, puis nationale, de Paris à Rennes et Brest facilita très probablement son déplacement et créa peut-être une attirance pour la destination finale de cette voie.

Mais il faut peut-être y voir, comme pour Armand BERTIN au sein de la famille RENAULT, l'effet de rencontres et de publicités de postes de boulanger au sein de cette confrérie.

 

Avec l'arrivée de Joseph à Brest, c'est l'ensemble des repères culturels et sociaux de la famille MORLAIS qui se trouve bouleversé : concentration urbaine, proximité de la mer, omniprésence de la Marine Nationale, de son port et de son arsenal, parler local fait de français, de bretonnismes léonards et de lexique purement brestois, rythmes de vie, us et coutumes...

 

Dernière rupture, et non des moindres : il est probable que Joseph ne revit jamais sa famille, et qu'il ne voulut ou ne put la revoir.

 

Comme on le constate fréquemment dans l'histoire familiale, le frère aîné reprend la ferme et garantit une stabilité sociale, culturelle et géographique.

Au côté des MORLAIS qui cultivèrent les terres de St-Gilles pendant plus de 150 ans, citons les RENAULT qui exploitèrent la ferme du Grand Clos à La Malhoure (Côtes d'Armor) durant plus de deux siècles.

 

A l'opposé, les frères cadets ou benjamins ne trouvent pas facilement d'emploi sur place et sont conduits à se déplacer et à rencontrer de nouveaux environnements : c'est ici le cas de Joseph MORLAIS, mais on peut également citer l'ensemble des matelots et autres militaires, Joseph RENAULT qui s'installe au bureau de tabac du Gouray (Côtes d'Armor) en 1860 ou son fils Alexandre RENAULT qui s'installe à La Nouvelle Orléans puis à Philadelphie.

 

La date précise du "grand déplacement" de Joseph MORLAIS n'est pas précisément connue, mais tout laisse à penser qu'il s'est produit vers 1850.

 

Joseph MORLAIS habite déjà à Brest quand il se marie en 1854 avec Joséphine SIOU, jeune femme native de Lambézellec, commune voisine mais alors distincte de celle de Brest.

 

Le couple va d'abord élire domicile à Lambézellec, dans le quartier de Keruscun (actuellement quartier de Brest depuis la fusion des communes en 1945).

 

C'est entre la place Keruscun et la rue Postrein Nevez que Joseph établit sa boulangerie, dans une vaste maison édifiée sur un terrain nommé Parc al Leur (parcelle 323 du cadastre), dont il acquiert la propriété. La maison possède un rez-de-chaussée où sont établis deux commerces et leurs arrière-boutiques, des caves où se trouve le four, deux étages comprenant chacun quatre chambres, et une grenier mansardé.

A cet ensemble s'ajoute un jardin et un hangar en bord de route.

 

Puis la famille s'installe à Brest, d'abord au 6 rue Guyot. Elle garde la propriété de la maison de Keruscun jusqu'à sa mise en vente forcée en 1873, conséquence de la faillite de la boulangerie prononcée par le tribunal de commerce de Brest le 3 mai de cette année-là.

 

La rue Guyot, ce "gouffre pavé bordé de hautes maisons" (Pierre Mac-Orlan) est une ruelle étroite et mal famée, particulièrement fréquentée par les prostituées, et à laquelle on accède depuis la rue de Siam par le grand "escalier du commandant".

"Que de belles lanternes toutes rouges !" se plaît à nous rappeler le peintre et dessinateur Pierre Péron (Rendez-vous rue de Siam, textes et dessins de P.Péron, éd. de la Cité, 1967).

Pierre Mac-Orlan file quant à lui la métaphore nautique : "Une étrange escadre de péniches vertes, ornées de hublots, protégées par de larges et bas contrevents peints en vert (...) Une nuit, j'imagine qu'un remorqueur ivre déhalera une amarre et entraînera à sa suite, vers un port du nord aux eaux sans joie, les quatre bordels de Brest aux hublots fleuris de pots de géranium" [in Pierre Péron, op.cité].

 

Il n'est pas étonnant que les parents MORLAIS aient cherché à s'en éloigner. 

L'escalier du commandant et la rue Guyot, dessin de Pierre Péron, 1934.

 

La rue Guyot vue de la rue de Siam depuis l'escalier du commandant en 1940. Mal famée et insalubre, cette voie détruite dans les bombardements de 1944 ne sera pas reconstruite. Les immeubles, dont celui du n°6 ne sont plus visibles. Le n°3 était connu de certains pour sa maison close (Bundesarchiv, photo Dietrich 1940).

 

La famille s'installe ensuite au 1 rue Kéréon et enfin au 5 rue Duguesclin dans l'actuel quartier de l'Harteloire. C'est là que décèdera Joseph le 10 juillet 1903 à l'âge de 75 ans.

 

 

Le domicile du 5 rue Duguesclin, acquis ultérieurement, peut-être avec la vente de la boulangerie de la place Keruscun à la fin de l'année 1873, est très spacieux.

C'est une maison élevée sur cave composée d'un rez-de-chaussée de cinq pièces, et de trois étages composés de six pièces chacun, cour et hangar derrière. Elle est entourée devant par la rue, au fond par la caserne militaire, à droite par la propriété Nézet, à gauche par la propriété Coupu. L'immeuble se poursuit et comporte ses aisances et dépendances.

 

L'immeuble du 5 rue Duguesclin où résidaient les familles MORLAIS et CLOT est mis en vente en 1920, après le décès de Joséphine SIOU, veuve de Joseph MORLAIS, au prix de 40 000 Francs. (avis de vente paru dans La Dépêche de Brest, 7 décembre 1920, p.3). 

 

Ce bâtiment n'existe plus aujourd'hui. Lors de la reconstruction de Brest après les bombardements de 1944, l'emplacement a en effet été inclus dans le périmètre du collège et du lycée de l'Harteloire.

 

Sur la stèle de sa tombe figure l'inscription "Ci-gît Joseph MORLAIS, propriétaire", comme l'expression de la réussite sociale de ce petit enfant de fermiers rennais, locataires aux conditions modestes et précaires.

 

Sépulture de Joseph MORLAIS au cimetière St-Martin (Brest), carré B, allée 6, tombe 11, où reposent également sa femme Joséphine SIOU, son fils Charles MORLAIS, son gendre Louis Hyacinthe CLOT et sa petite-fille Joséphine Marie CLOT.  (photo JMR, novembre 2021).

 

Joseph MORLAIS et Joséphine SIOU ont six enfants, nés rue Guyot puis rue Kéréon :

 

- Marie Athenaïs, née en 1855 au 6 rue Guyot et décédée à l'âge d'un an

- Marie Joséphine, née en 1858 au 6 rue Guyot, mariée à Lambert COUPU, et décédée à Quimper en 1941
- Charles François, dont nous descendons, né en 1860 au 6 rue Guyot, marié à Pauline Héloïse MASTIN
- Joseph, né en 1863 et décédé à Keruscun en 1866
- Isoline Marie, née en 1868 au 1 rue Kéréon, mariée à Louis Hyacinthe CLOT et décédée en 1953 à Bobigny
- Louis Ernest, né en 1869 au 1 rue Kéréon, marié à Joséphine FOURNIER et décédé à Plabennec en 1965.

 

 

Brest, une "ville française en terre bretonne".

 

Tous les conjoints et conjointes des enfants portent des noms français et ont une origine éloignée de Brest : le Cotentin (CLOT), Douai (MASTIN), Bezons (FOURNIER).

 

Il semble que, comme beaucoup de grandes villes, Brest était constitué de communautés sociales et culturelles qui se mélangeaient assez peu : les unions avec des Brestois ou Bretons d'origine restent peu nombreuses et font parfois l'objet de commentaires.

 

C'est là, peut-être, l'origine d'une distance certaine qui s'est formée entre Marie Adolphine MORLAIS, fille de Charles et mariée malgré certaines réprobations familiales à François LE BAILL, originaire de St-Pierre-Quilbignon et de la campagne du Bas-Léon, avec une partie importante de sa famille.

 

En cette deuxième moitié du XIXème siècle, la Marine de l'Etat est omniprésente à Brest par son port de guerre, son arsenal et son administration qui offrent des emplois en grand nombre.

Elle rythme la vie de la cité dans la plupart des domaines, y compris celui de la formation avec le Lycée Naval et l'Ecole Navale, mais aussi et surtout de l'économie et de l'industrie navale.

 

Chaque famille brestoise a alors au moins un, sinon plusieurs membres qui travaille(nt) dans un des innombrables postes offerts par la "Royale".

 

Dans ce contexte si particulier, Charles MORLAIS poursuit l'ancrage brestois de sa famille, se forme à la cuisine et obtient un poste de cuisinier à l'hôpital maritime qu'il conservera jusqu'à sa retraite puis son décès à 61 ans, le 22 décembre 1921.

 

Charles se marie en 1887 à Pauline MASTIN, jeune femme brestoise dont les ancêtres sont originaires de Douai (Nord) et de la Normandie (Manche et Calvados).

 

Charles MORLAIS et Pauline MASTIN auront sept enfants :

 

- Charles, né en 1889 au 47 rue de la Mairie, décédé à l'âge de 2 jours
- Marie Adolphine en 1890 au 1 rue de l'Harteloire, dont nous descendons, qui se mariera à François LE BAILL. Leur enfant unique, Marie Paule LE BAILL, née au 2 rue Du Couëdic, se mariera à Jean RENAULT.
- Charles, né en 1891 au 1 rue de l'Harteloire, et décédé en 1957
- Paul, né en 1894 au 7 rue Duguesclin et décédé à l'âge de 2 mois
- Joséphine, née en 1895 au 7 rue Duguesclin
- Paul, né en en 1897 au 7 rue Duguesclin et décédé en 1966
- Andrée, née en 1898 au 37 rue du Cimetière et décédée en 1978, dite "Tante Andrée" qui se mariera à Emile VALLEE, marin de fleuve installé à Deauville

 

 

On remarque, comme dans d'autres familles, qu'un même prénom est facilement redonné à un suivant lorsque l'aîné est décédé.

 

 

(suite)

Mise en ligne : septembre 2021

Mise à jour : janvier 2022

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